Au fil de nos spectacles, Luc BOLLAND a retracé dans nos programmes l'histoire du théâtre, depuis ses origines jusqu'à nos jours.
On s'en serait douté, le Théâtre n'a pas attendu l'Emporte-Pièce pour naître... Le théâtre occidental est né dans le bassin méditerranéen en s'émancipant des lituriges religieuses. Le culte de Dyonisos (Bacchus) qui en des temps plus reculés encore, comme d'autres cultes agraires primitifs, comportait un rituel magique assorti de sacrifices humains et de cannibalisme.
Le théâtre grec classique — la célèbre trilogie : Eschyle, Sophocle, Euripide, complétée par Aristophane, seul auteur comique — met en scène un conflit entre l'homme et les forces de l'univers ou entre des individus. Les émotions et les sentiments sont exprimés par le choeur. Ils n'auront pas de successeurs.
A Rome, Plaute prendra la relève. Puis Térence qui influencera toute la comédie en Europe tandis que les tragédies de Sénèque transmettront aux classiques italiens ou français l'héritages des tragédies grecques. Les invasions germaniques feront alors tomber l'activité théâtrale dans l'oubli dont elle ne sortira que vers l'an 1000 sous forme de mise en scène, en latin, de scène de l'évangile à Noël ou à Pâques (les tropes).
Deux siècles plus tard, en sortant sur les parvis des églises, le drame sacré s'affranchit du latin et devient de plus en plus profane. La Farce de Maître Pathélin est la première vraie comédie. L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne connaissent à la même époque une même évolution dans l'art dramatique.
Le "grand siècle" du Théâtre s'étend de 1587 à 1691 (représentation d'Athalie de Racine). Le mouvement prend naissance en Espagne avec la "comedia", une dénomination un peu fourre-tout : intrigue complexe, inspiration antique ou folklorique, profane ou sacrée...
Les spectacles se donnaient à l'extérieur, sur tréteaux, puis dans des édifices construits à cet effet. Les troupes étaient entretenues par de grands seigneurs et comportaient des comédiennes.
Quelques grands noms : Guillèn de Castro, Lope de Vega (plus de 500 œuvres répertoriées !), Tirso de Molina, Calderon.
En Italie, la "commedia dell'arte" ou "all improviso" se développe dans le dernier tiers du 16e siècle. Les compagnies étaient dirigées par des hommes de théâtre, souvent lettrés, soutenues par les princes, jouaient dans des académies qui disposaient de scènes privées. Les rôles féminins étaient tenus par des femmes.
L'intrigue romanesque mêlait hasard, ruse, improvisation et voyait le triomphe final de l'amour. Les personnages étaient typés : valet, vieillard, paysan, docteur et le plus célèbre, Arlequin. La commedia dell'arte influencera fortement le théâtre français. Pas d'auteurs célèbres, mais des recueils de scénarios à foison, de tirades, de duo, de déclarations d'amour, etc.
L’université anglaise a joué un rôle important dans l’épanouissement du théâtre dit « élisabéthain » (par allusion à la cour de la Reine Elisabeth Tudor -1533-1603- qui fit assassiner sa cousine Marie Stuart) : les étudiants de l’école de droit joueraient la comédie, les choristes de la Chapelle Royale donnaient des représentations, de même que les troupes de métier «en province».
Trois « tragédies », entre 1560 et 1570 (les titres et auteurs sont un peu comme chez nous) donnent l’orientation à leurs successeurs. En effet, haine, meurtres, violence, conflits, vengeance, trahisons, supplices et révolutions de palais y font rage, à l’image de ce qui se passe à la cour royale. C’est le début des « blood tragédies » dont la formule est reprise par trois générations de dramaturges. La première avec, entre autres, Christopher Marlowe (1564-1593) —La tragique histoire du Dr Faust—, la deuxième dominée par le grand William Shakespeare (1586-1616), et la troisième, bien sûre, avec John Ford (1586-1639) —Le cœur brisé, Dommage qu’elle soit une putain— et John Webster (1580-1624) —La Duchesse de Malfi, particulièrement sanglante.
Tout le monde connaît évidemment Shakespeare qui a pratiqué tant la comédie que la tragédie. Ses œuvres sont toujours abondamment jouées, et pas seulement dans le monde anglo-saxon. Quelques titres : Richard III, La mégère apprivoisée, Roméo et Juliette, Les joyeuses commères de Windsor, Hamlet, Othello, Macbeth, Le Roi Lear. Son théâtre étonne par la variété et la vigueur du style, le foisonnement et la diversité sociale et psychologique des personnages, la maîtrise de la construction dramatique. Mais là encore les rôles féminins étaient tenus par des garçons.
Dès 1630 cependant, la censure puritaine se fait de plus en plus influente et imposera la fermeture des théâtres en 1642.
Nous arrivons en territoire mieux connu. Si Shakespeare est LE grand dramaturge anglais, Corneille, Racine et Molière sont les auteurs les plus emblématiques du théâtre français. La plupart d’entre nous gardent des souvenirs plus ou moins précis de leurs années d’études où ces grands auteurs étaient incontournables. On se souvient du Cid (Rodrigue, as-tu du cœur ?
), d’Horace (Que voulez-vous qu’il fît, seul contre trois ? Qu’il mourût !
) et même de Polyeucte (Le désir s’accroît quand l’effet se recule.
, petite polissonnerie discrète). Louis de Funès a rafraîchi les mémoires sur Molière : Cachez ce sein que je ne saurais voir
(Tartuffe), Que diable allait-il faire dans cette galère ?
(Les Fourberies de Scapin), C’en est fait ; je n’en puis plus ; je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré.
(L’Avare), Voiturez-nous ici les commodités de la conversation.
(Les Précieuses Ridicules) ou encore L’Ecole des Femmes, Le Bourgeois Gentilhomme, Le Misanthrope, Don Juan…
Le troisième, Jean Racine, prend la relève de ses deux prédécesseurs, mais avec des succès mitigés. Contrairement à Corneille qui décrit des héros responsables de leur destin, Racine renoue avec la tradition antique où le destin (« les dieux grecs ») laisse peu de liberté aux personnages (Andromaque, Bérénice, Mithridate, Iphigénie, Phèdre). L’un et l’autre puisent, partiellement, leurs sujets dans l’histoire antique, mais pas uniquement. C’est aussi le temps des tragédies en vers (l’alexandrin) que Molière utilisera dans plusieurs de ses comédies. C’est également la loi contraignante des trois unités : de temps, de lieu et d’action : l’histoire se déroule en un seul lieu, en une journée.
Ces œuvres, si inestimables soient-elles, ne rencontrent plus aujourd’hui le même écho : qui a lu Pertharite, Sertorius ou Surena (Corneille), La Thébaïde ou Achalie (Racine), La Princesse d’Elide, Mélicerte ou La Comtesse d’Escarbagnas (Molière) ?
On ne peut pas dire que le 18e siècle soit une période faste pour le théâtre en Europe.
En Allemagne, Goethe, un peu touche à tout a écrit une œuvre dramatique assez conséquente dont on ne retient guère que « Prométhée », et surtout « Faust ». Schiller laisse aussi quelque pièces (« Les Brigands », « Don Carlos », « Wallenstein ») qui ont connu le succès à l’époque. En Angleterre et en Espagne, il faut bien chercher pour trouver quelques noms (Fielding, Sheridan, Garcia de la Huerta, Leandro Fernández de Moratín, ...) que seuls les spécialistes de ces littératures (et vous maintenant) connaissent. Un nom émerge cependant en Italie, Goldoni (1707-1793) auteur de 200 pièces (comédies, tragédies, intermèdes, ...) parfois même en français. Il est toujours à l’affiche à notre époque avec certaines œuvres : « Arlequin, valet de deux maîtres », « Les Rustres », « Les Amoureux ». Pour être un peu plus étoffé, on citera aussi Alfieri (1749 – 1803). La France se défend un peu mieux grâce à deux auteurs toujours joués au XXIe siècle. Nous allons y venir.
Voltaire a certes écrit 27 tragédies (« Zaïre », « Alzire », « Brutus », « Alceste », « Mérope », ...) et 3 comédies. Ce n’est pas cette partie de son œuvre qui a fait sa gloire. Pas plus que celle de Diderot ne dépend du « Fils naturel », ou de « Père de famille ». Pour briller dans un Quizz, on pourrait citer Nivelles de la Chaussée, Destouches, Prion, Crébillon père. Qui se souvient de Sedaine et de son « Philosophe sans le savoir » ? Et qui peut citer, de mémoire, l’auteur de « La brouette du vinaigrier » (1775) ?
Laissons-les dans le doux oubli où ils reposent, contrairement à Marivaux, (1688-1763), auteur de deux romans (« La vie de Marianne », et « Le paysan parvenu ») mais surtout de 32 comédies, dont certaines sont encore régulièrement à l'affiche :
Il est un des rares écrivains à avoir laissé son nom à un genre : le marivaudage, qui résume bien le thème de ses oeuvres.
Chronologiquement, Beaumarchais (1732-1799) lui succède dans un autre ton : la critique hardie et spirituelle de la société française, qui annonce la Révolution de 1789. « Le Barbier de Seville » et le « Mariage de Figaro » sont plus que des souvenirs scolaires.
Le 19ème Siècle littéraire français est dominé par quelques géants : René de Chateaubriand, Victor Hugo, Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Emile Zola, Stendhal, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas (père et fils), Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé … Que me pardonnent ceux dont le nom est injustement omis.
Tous ces noms émaillent les souvenirs plus ou moins lointains de tous les potaches que nous avons été. Et le théâtre parmi tous ces écrivains illustres ?
Bizarrement, il n’est pas très bien représenté. N’ont pas mérité de survivre, au début du siècle, des Rayouard, Baour-lormian, Luce de Lancival, Andrieux, Pirard, Népomucène Mercier (avec un pareil prénom), Pierre Lebrun, Pixéricourt (plus de cent mélodrames, avec parfois un succès triomphal). Paix à leurs mânes, peut-être y a-t-il des curiosités à dénicher chez les bouquinistes …
Victor Hugo est le premier à bousculer cette médiocrité, non sans peine « Cromwell est injouable », Amy Robsart est huée, « Marion Delorme » n’obtient pas le visa de la censure.
« Hernani » écrit en moins d’un mois est un triomphe. Hugo y brise la sacro-sainte règle des 3 unités (temps, lieu, action) dont la jeune génération ne voulait plus. Ce qui déclencha une polémique enragée comme sous le nom de « bataille d’Hernani ».
D’autres pièces suivront : « le Roi s’amuse (Rigoletto à l’opéra) « Lucrèse Borgia », « Marie Tudor », « Angelo », Ruy Blas », « Les Burgraves » (un échec, fin de l’aventure théâtrale hugolienne).
Alfred de Musset tâte lui aussi du théâtre avec plus ou moins de succès, tant dans la comédie que dans le drame. Citons « La coupe et les lèvres », « A quoi rêvent les jeunes filles ? », « La nuit vénitienne », « On ne badine pas avec l’amour », « Fantasio », « Une soirée perdue », « Il ne faut jurer de rien ». Beaucoup de titres sont toujours connus et certains sont encore repris dans des répertoires. Alfred de Vigny, avec « Chatterton » complète l’inventaire, forcément incomplet du théâtre romantique du 19ème siècle.
Lui succède ce qu’on a appelé le théâtre de mœurs qui a pour ambition de se rapprocher davantage de leur vie réelle. On citera Eugène Seribe, plus de 350 pièces, François Ponsard, Emile Augier, Alexandre Dumas, plus connu par son nom et par « la Dame aux Camélias » (La Traviata à l’opéra) et « Le Fils naturel ».
Victorien Sardou a également laissé son nom grâce à « La Tosca » (Tosca à l’opéra) et surtout parmi une cinquantaine de pièces « Madame Sans-Gêne ». Pour clôturer cet inventaire rapide, un petit cocorico « rouge-jaune-noir » avec Maurice Maeterlinck : « Pélléas et Mélisandre » et ‘L’oiseau bleu ».
Et la vraie comédie, style Emporte-pièce dans tout ça ? Ce sera pour la suite.
Les manuels d’Histoire de la Littérature se consacrent essentiellement (Mr.de la Palisse en aurait dit autant) à la Littérature. Apparemment, la Littérature est une chose très sérieuse, qui se penche sur des problèmes de société, dénonce des travers, analyse des phénomènes et, même, se penche parfois sur son nombril. Son histoire ne laisse qu’une part assez congrue à ce qui est léger, futile, primesautier.
C’est particulièrement vrai dans l’histoire du Théâtre. Molière mis à part – et quelques autres – le théâtre comique est traité en parents pauvres.
Au 19e pourtant prolixe en œuvres littéraires, comment se faire un nom à côté des géants Hugo, Chateaubriand, Balzac, Verlaine, Baudelaire … Eugène Labiche (1818 – 1888) a su y trouver une petite place et à se faire un nom parvenu au 21e. le ton de ses pièces est narquois et bonhomme, jamais grinçant. C’est du Vaudeville : « Un chapeau de paille d’Italie », « L’Affaire de la rue Lourcine », Le voyage de Mr. Périchon » sont encore quelque fois à l’affiche de nos jours. Saluons Scribes et ses 3501 pièces, bien couvertes de poussière. Les autres noms qui émergent chevauchent le 19e et le 20e. Les plus « légersé, Meilhac (18310-01907) et Halevy (1834 – 1908) sont connus, ensemble, comme librettistes d’Offenbach : « La Belle Hélène », « La Vie Parisienne », en plus de « Frou*frou » et de « Mam’zelle Nitouche ».
Le comique de situation est illustré par Georges Feydeau (1862 – 1921) encore joué dans « Un fil à la patte », « Le Dindon », « La dame de chez Maxim », « Occupe-toi d’Amélie », « On purge bébé ».
Peut-être L’emporte-Pièce pourrait mettre Feydeau à son répertoire ?
Edmond Rostand est célèbre pour son « Cyrano de Bergerac », un peu moins pour « Chantecler » et « L’Aiglon ». Nous sommes au 20e siècle. Pour faire érudits, pédants, déterrons les nomsde Mr Donnay, A. Capus, H. Levedan et A. Hernant. Refermons leurs tombeaux, qu’ils reposent en paix.
Flers (1872 – 1927) et Cavaillet (1869 – 1915) n’ont même pas leurs noms, indissociablement liés, au Petit Larousse, malgré leur « le Roi » et « L’habit vert », « Tristan Bernard (1866 – 1947) est plus connu pour ses bons mots que pour son théâtre : « les Pieds Nickelés », « L’Anglais tel qu’on le parle », « l’Etrangleuse », « Triplepattes ». Alfred Jarry (1873- 1907) est beaucoup connu grâce au personnage emblématique du Père Ubu : « Ubu Roi », « Ubu enchainé », « Ubu cocu » qui préfigure le surréalisme.
Un gars bien sympathique, presque un joyeux luron, C’est Georges Moineaux, mieux connu, et bien connu sous le nom de Georges Courteline (1858 – 1929). Ses courtes comédies sont de petits joyaux d’observation de la vie quotidienne. Dans des romans d’abord « les femmes d’amis », les Gaietés de l’escadron », « Le Train de 8h47 », Messieurs les Ronds de Cuir », « les Linottes ». Plus tard, dans une vingtaine de pièces en 1 acte (2 pour Boubouroche). Citons les plus connues (il y en a 3 tomes) : « Boubouroche », « Un Client Sérieux », « Monsieur badin », « La Paix chez soi », « la Cruche », « Les Bourlingueurs », « La Peur des Coups », « Le Commissaire est bon enfant », « Le gendarme est sans pitié », « Hortense, couche-toi », « Théodore cherche des Allumettes », « L’Article 330 », « Les Balances ». Grand Prix de l’Académie (1926), élection à l’Académie Goncourt (1926). Du sérieux quand même pour un humoriste qui, dernière pirouette (involontaire) meurt à 71 ans le jour de son anniversaire.
Terminons avec 2 grands noms du théâtre d’humour : Marcel Achard (1899 – 1974) et Sacha Guitry (1885 – 1957). Du premier « Voulez-vous jouer avec moâ », « Malbrough s’en va en guerre », « La vie est belle », « jean de la Lune », « patate ». Du second, « Faisons un Rêve », « Mon père avait raison », « Désiré », « la Mari, la Femme et l’Amant », titre qui résume bien le thème de ses pièces. Auteur aussi de multiples bons mots. Exemple : « Epitaphe pour sa femme (Yvonne Printemps) « Enfin froide » réplique de la réplique de ladite compagne « enfin raide ». N’oublions pas le célèbre « Knock » de Jules Romain. Que les oubliés nombreux, illustres inconnus ou gloires passagères pardonnent les nombreux trous de cette brève histoire.
Il reste quand même une question en suspens : et les pièces et les auteurs joués à l’Emporte-Pièce ? Où sont les Ray Cooney, les Marc Camoletti, les Jean-Pierre Martinez, Les Noël Piercy, les Thierry François, les Reynaud-Forton, Béatrice Herschtritt, Philippe Caure, Roger Ferdinand, JB Luc et JP Conti, Angélique Sutty et encore Slawomir Mrozeck (rappelez-vous « Les Révérends », notre premier spectacle) ? Et tous ceux, innombrables, que l’Emporte-Pièce n’a pas présentés ? Pour avoir droit à un nom de rue ou de place publique, il faut être mort. Pour figurer au dictionnaire, il faut de grands mérites. Ces auteurs vous ont donné, au fil des saisons, bien du plaisir (nous l’espérons) mais ils sont trop jeunes …
Plutôt que des histoires de la Littérature, des Encyclopédies qui sont toujours en retard d’une ou deux générations, ils ont Wikipédia pour se faire connaître. A vous de les y trouver.
Luc Bolland.
D’après :